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Le monde est fou !

D 2 mars 2022     H 11:56     A Patrice MOREL    


La Russie est entrée en guerre !

Quelle connerie la guerre ! (Jacques Prévert)
La paix avant tout !
(© Photo Catherine Morel)

Patrice Morel
le 2 mars 2022

Comme chez moi c’est l’image, je laisse la place à ceux qui savent écrire. Edgar Morin interrogé aujourd’hui par Ouest-France :


ENTRETIEN. Guerre en Ukraine : « Il faut penser avant de s’indigner », analyse Edgar Morin

«  À bientôt 101 ans, Edgar Morin publie un nouveau livre, « Réveillons-nous [1] ». Le philosophe et sociologue nous invite à penser et à comprendre les origines de la guerre qui frappe l’Europe.
Le philosophe et sociologue Edgar Morin nous livre sa pensée sur l’actualité marquée par l’invasion de l’Ukraine par la Russie. Des réflexions qui renvoient aussi à l’élection présidentielle, à la France, à la vie quotidienne. Entretien.

Edgar Morin

Vous qui aurez bientôt 101 ans, à quels souvenirs personnels renvoie cette guerre aux portes de l’Europe ?

J’ai évidemment pensé à ce qui s’était passé en 1939. La France et l’Angleterre ont déclaré la guerre à l’Allemagne après l’invasion de la Pologne. Mais c’était pour ne pas faire la guerre. Et nous en avons été les victimes. La situation actuelle a au moins le mérite de la franchise. Nous ne voulons pas faire la guerre. Cette position est réaliste. Nous ne sommes plus dans une situation comparable.

C’est une situation comme nous n’en avons pas connue depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale ?

Vous oubliez la guerre de Yougoslavie 1991-1995, horrible et sanglante, suivie par celle du Kosovo 1998-1999. La France est intervenue militairement en 1992 et l’Otan en 1995 par des bombardements durant la guerre de Yougoslavie. Les États-Unis y ont imposé le cessez-le-feu, mais la Russie fut très affaiblie à la suite de l’effondrement de l’URSS et n’a pu intervenir. Il y a eu également la guerre du Kosovo de 1998-1999 où l’Otan a bombardé la Serbie.

Comment expliquer ce conflit entre la Russie et l’Ukraine ?

En fait, les origines de la guerre en Ukraine tiennent en même temps au retour de la puissance russe et à l’élargissement de l’Otan. Après le détachement progressif de ses anciens protectorats ex-démocraties populaires qui ont rejoint l’Union européenne, la Russie tente de reprendre la main. Elle a réussi après une répression brutale en Tchétchénie. Et si elle a échoué en Géorgie, elle a annexé la Crimée en soutenant les russophones du Donbass ukrainien. Par ailleurs, elle se sent menacée par l’élargissement de l’Otan dans ces régions, contrairement à la promesse faite à Gorbatchev en 1991. Et rien n’a été fait pour trouver un compromis avant l’extrême radicalisation qui a conduit à l’invasion de l’Ukraine.

L’Ukraine garde aussi la mémoire tragique de la dictature stalinienne ?

Staline, en 1931, a déporté ou liquidé les koulaks, les paysans installés sur les riches terres à blé ukrainiennes. Les Ukrainiens ont dû faire face à une épouvantable famine.

Aujourd’hui, elle est écartelée entre l’Est et l’Ouest ?

L’Ukraine est une formidable proie économique pour l’Est comme pour l’Ouest. Elle est riche de matières premières, avec des minerais, de terres à blé, etc. Elle est écartelée entre son appartenance historique à l’Empire russe et son aspiration à la démocratie qui la lie de plus en plus au reste de l’Europe.

Mais pourquoi Vladimir Poutine parle-t-il de « dénazification » de l’Ukraine ?

On ne peut pas comprendre cette accusation sans se référer à l’Histoire. Quand les Allemands ont attaqué l’URSS en 1941, un mouvement nationaliste conduit par Stepan Bandera a proclamé, sous l’autorité des nazis, l’Ukraine indépendante. La situation actuelle n’a évidemment rien à voir et fait l’objet d’une manipulation politique par Vladimir Poutine, qui bourre le crâne des Russes, en laissant penser que la situation politique en Ukraine aujourd’hui serait la même que celle qui a prévalu sous les nazis.

Est-ce qu’on n’a pas raté quelque chose après l’effondrement du « Rideau de fer » ?

Poutine est bien sûr un dictateur que nous condamnons. Je pense cependant que cette histoire est aussi la résultante de deux dynamiques. D’une part, l’Otan, sous la coupe des Américains, a voulu avancer le plus possible vers la Russie. Cette dernière a, de son côté, voulu reconstituer l’ancienne Russie. Ces tensions ont d’abord été pacifiques avant de basculer dans la tragédie que nous connaissons aujourd’hui.

Cela nous renvoie aux zones d’influences des grandes puissances. Pensez à Cuba ou à l’Amérique latine, dans leur relation avec les Américains par exemple. On peut défendre l’Ukraine sans être aveugle. Attention à l’hystérie liée à la guerre qui ne nous fait voir qu’un seul aspect de la réalité souvent plus complexe. J’ai toujours essayé de prendre parti tout en étant lucide.

Que peut-on encore espérer ?

Nous nous trouvons dans une situation paradoxale : à la fois ne pas accepter l’invasion et ne pas faire la guerre ; d’où cette sorte de compromis qu’est la guerre économique, assortie d’aide en armements. Ni la force militaire ni la faiblesse ne sont une solution. La faiblesse est dangereuse car elle pourrait donner libre cours aux ambitions russo-impériales. Mais la volonté de faire plier la Russie par l’économie est tout aussi dangereuse, et pourrait avoir des conséquences qu’on ne mesure pas.

Le seul compromis acceptable des trois côtés, du reste formulé par le président ukrainien Volodymyr Zelensky, est la neutralité de l’Ukraine sur le modèle suisse. Il me semble que l’Ukraine, dépouillée ou non de sa région russophone, devrait devenir un État fédéral, vu ses diverses composantes ethno-religieuses. Et qu’une négociation générale puisse aboutir à un règlement global Est-Ouest. Mais ce n’est qu’un souhait.

Vous nous aviez dit : « Je ne me résigne pas », il y a deux ans, à Montpellier. Êtes-vous toujours un homme d’espérance ?

J’ai trois principes d’espérance alors que les probabilités sont désespérantes ou que la tyrannie triomphe. Le premier est de miser sur l’improbable, ce que j’ai connu quand Joukov, commandant en chef sous Staline, a sauvé Moscou en décembre 1941 alors que l’URSS semblait perdue. Deux jours plus tard, l’Amérique entrait en guerre après l’attaque du Japon sur Pearl Harbor. Cette espérance, je l’ai retrouvée quand l’héritier du dictateur Franco, Juan Carlos, a instauré la démocratie en Espagne. Et enfin, lorsque le secrétaire général du Parti communiste Gorbatchev a mis fin à soixante-dix années de totalitarisme.

J’ai aussi pour second principe de toujours croire dans les capacités créatrices et de résistance à l’oppression d’une minorité qui, tôt ou tard, réussit à s’émanciper comme le fit Mandela.

Et mon troisième principe est de penser que le pire système totalitaire du futur fondé sur le contrôle informatique généralisé de tous les individus comportera toujours des failles, comme nous le montre le film Matrix. La grande machine totalitaire pourra nous transformer partiellement en machines. Mais quelques personnes surgiront toujours pour sauver le monde.

Est-ce que nous devons nous indigner comme nous y invitait Stéphane Hessel (Indignez-vous, Indigènes éditions, 2010) ? Ou nous engager ?

Je dirais qu’il faut aussi penser. Il ne suffit ni de s’indigner ni de s’engager. Il faut savoir dans quel monde nous sommes. C’est ce que tous les grands penseurs comme Karl Marx, même s’il s’est trompé, ont voulu faire. Il faut faire un diagnostic correct de l’homme dans le monde et dans l’histoire actuelle. Avant l’engagement, avant l’indignation, il faut comprendre.

Ces deux France qui s’affrontent

Pourquoi l’identité française est-elle aujourd’hui en débat ?

Depuis la Révolution de 1789, deux France se sont succédé ou ont coexisté : la France humaniste, née en 1789 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, et la France réactionnaire. Elles s’affrontent encore aujourd’hui. Dans les années 1930, la France réactionnaire a trouvé avec Charles Maurras, un doctrinaire qui a justifié cette sorte de vision hypernationaliste, à l’époque antisémite, « anti-métèques ». Or, Zemmour est le Maurras d’aujourd’hui. Sa base est le pire de tous les nationalismes. Elle renvoie à la purification ethnique et religieuse, des immigrés et de l’islam. C’est cela qui est fondamentalement réactionnaire avec un suprématisme inconscient, ou conscient. L’idée que nous serions supérieurs.

C’est aussi une vision très nostalgique ?

Nous sommes aujourd’hui une puissance moyenne. Mais la France a été une grande puissance qui est aujourd’hui supplantée par les États-Unis, la Chine et la Russie. Pour les tenants de cette France réactionnaire qui cultivent cette nostalgie, ce sont les idées de la France humaniste qui ont entraîné de l’intérieur ce déclin historique.

Quel projet pourrait aujourd’hui les Français ?

J’ai défini dans mon livre Changeons de voie : les leçons du coronavirus (avec Sabah Abouessalam, éditions Denoël, 2020) une politique où l’économie est mise au service d’une volonté de recréer, d’améliorer notre civilisation et les conditions de vie. C’est une politique qui réduirait la puissance devenue toute-puissante de l’argent et aussi du caractère bureaucratique de l’État. Si cette direction n’est pas suivie par une part importante de l’opinion, cela ne sera pas le réveil de la France humaniste ni celui de la France tout court.

Qui peut incarner ce réveil ?

Je ne vois personne pour le moment. Il faudrait que le président Macron change de voie. Pour le moment, rien ne l’indique. Nous avons eu Jeanne d’Arc, Charles de Gaulle. Sans aller jusqu’à ces références, nous avons besoin de quelqu’un qui incarnerait cette voie.

Et le retour de la convivialité dont vous parlez dans votre dernier livre, où est-elle ?

Ce qui m’inquiète, c’est la dégradation non seulement de notre vie quotidienne mais aussi des solidarités. On assiste à une progression de la machinisation de la vie, je dirais presque de l’industrialisation de nos vies personnelles, les contraintes de plus en plus bureaucratiques, une alimentation malsaine et industrielle. Mais il y a beaucoup de choses qui peuvent ressusciter, car il y a une aspiration humaine à la convivialité et cette aspiration va renaître sans cesse.  »

Photo : Edgar Morin à São Paulo 2011 (Photo Creative Commons).


[1Réveillons-nous, Edgar Morin, éditions Denoël, 73 pages, 12 €.

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