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Le Manifeste - N° 13 - Mars 2005
Impérialisme français
Les dernières cartouches
Annoncée à l’automne dernier et toujours en cours, la fusion entre Snecma et la Sagem évoque le mariage de la carpe et du lapin. À l’heure où littérature et presse spécialisée célèbrent les groupes qui se recentrent sur leur métier, qu’en est il de ce fabricant de téléphones qui absorbe un motoriste de l’aéronautique et sa cinquantaine de filiales?
Certes, il y avait un précédent britannique : l’absorption en 1999 de l’électronicien Gec Marconi par British Aerospace. Le marché militaire est en effet marqué par le rôle de plus en plus décisif des systèmes électroniques de calcul et de communication. Tous les grands pays ont leur programme de « guerre en réseau », celui de l’armée française s’appelle « Bulle opérationnelle aéroterrestre ».
L’Ope de Sagem
sur Snecma
À l’heure où Chirac consacre ses vœux à la politique
industrielle, on pourrait se réjouir de cette construction franco-française.
Mais celle-ci se déroule dans un cadre d’achèvement des privatisations. Des pans
entiers de l’appareil productif sont sacrifiés. Parfois suite à de simples coups
de poker, discutables même sous l’angle de la profitabilité… l’Ope de Sagem sur
Snecma publiée le 29 décembre dernier sur deux pages de la presse financière
omet ainsi de mentionner les activités de téléphonie de Sagem. De quoi inquiéter
les travailleurs concernés…
Les Sarkozy, Gaymard et cie n’ont guère les moyens d’alimenter le discours
présidentiel. Les règles de Maastricht les empêchent de soutenir l’industrie
civile française. Client de l’industrie militaire, l’État peut en revanche
favoriser des restructurations dans ce secteur. Dans un contexte très brouillé,
le capital français peut espérer y jouer un rôle dominant en Europe. C’est en
effet une des rares industries où les Allemands ne sont pas en position de
leadership. Le Royaume-Uni jouit de cette position. Mais la diplomatie de ce
pays est dans la dépendance étroite de Washington. Son industrie joue
constamment sur les deux tableaux. Elle noue des alliances européennes sans
renier ses liens transatlantiques. Ainsi Rolls-Royce, numéro un du moteur
d’avion militaire, est-il impliqué dans le programme de nouveau chasseur
américain Jsf. Ce dernier est déjà prévendu à la Raf ainsi qu’à la Royal Navy.
« De moins en moins nombreux sont ceux qui estiment le moment venu de toucher
les dividendes de la paix » disait récemment un député Ump1.
Les crédits militaires augmentent à nouveau en 2005. C’est tout à fait
scandaleux. Mais le secteur français des industries de défense n’est que
moyennement développé: 180 000 emplois directs environ. De plus, nombre de ces
emplois sont menacés.
Fusion étroite
entre
les mécanismes politiques
et économiques
En effet, le gouvernement donne le coup de grâce au secteur
des armements terrestres. Le groupe Giat se reconvertirait pour l’essentiel dans
l’ingénierie. Seule serait maintenue une production de petits blindés. La
fermeture programmée des arsenaux est un désastre pour des départements
entiers : Corrèze, Loire, Hautes-Pyrénées, etc… Le capitalisme mondialisé
n’offre aucune perspective de reconversion dans une production civile. La
fabrication française de fusils, cartouches etc… appartiendra bientôt au passé.
Comment défendre le territoire national dans ces conditions ?
Le gouvernement mise sur l’aéronaval tout en programmant, là-aussi, des
réductions d’emplois. L’« ouverture du capital » de la direction des
constructions navales s’est faite discrètement durant la trêve des confiseurs.
On parle d’un rapprochement avec Thalès (ex Thomson-Csf) et des partenaires
italiens et espagnols. Outre Rhin, le chantier naval Hdw vient d’échapper de peu
à l’appétit de groupes américains. Quant à Denis Ranque, le patron de Thalès,
interviewé tout récemment dans Les Échos2, il
confirme que le secteur de l’armement « comporte naturellement une forte
dimension stratégique et diplomatique, notamment européenne ». il regrette que
« l’Europe de la défense » fasse « des progrès mais n’existe pas encore tout à
fait » et se prononce pour l’intervention de l’État dans l’industrie. C’est
normal, il a succédé à Strauss-Kahn à la présidence du fameux « Cercle de
l’Industrie ».
En France comme ailleurs, la fusion étroite entre les mécanismes politiques et
économiques marque toujours plus l’impérialisme. Les citoyens épris de paix
n’ont rien à y gagner. Les travailleurs des industries de défense non plus.
Olivier Rubens
1 L’Ump. Cornut-Gentille,
député de la Haute-Marne et Maire de Saint-Dizier
2 édition du 21 Février