la raison tonne en son cratère |
Le Manifeste - N° 8 - Juillet & août 2004
Vers le meilleur des mondes ?
C’est entendu, nous sommes des sectaires, des doctrinaires, des dogmatiques, des idéologues, des utopistes, des irréalistes, des rigides, des passéistes, des archaïques, des rétrogrades. Ce qui est moderne, pragmatique, réaliste, flexible, progressiste, facteur de développement et de prospérité dans le monde, c’est justement la mondialisation capitaliste.
Nos modernes économistes, historiens, politiciens ou politologues libéraux n’arrêtent pas de nous le seriner à longueur de discours, d’interventions télévisées, de journaux et de livres. Ils nous assènent des chiffres qu’ils sont allés chercher je ne sais où pour nous dire que tout va de mieux en mieux dans notre environnement mondial capitaliste, et si ça va mal en France, c’est à cause de l’État, des fonctionnaires tout particulièrement, ces vampires qui sucent le sang des contribuables et qui mettent des bâtons dans les roues du capitalisme, et surtout à cause des réformes sociales acquises au cours d’un siècle de luttes et qui nous mènent droit dans le mur. Si l’on souhaite que le rôle de l’État soit d’harmoniser l’économie et la production et d’apporter l’égalité des citoyens sur l’ensemble du territoire, on est vite traité de jacobin de la pire espèce, ce qui dans le langage de ces partisans des différences (c’est ainsi qu’ils nomment les inégalités) veut dire « totalitaire ».
Réalisme politique
à l’épreuve de la réalité
Je veux bien croire en l’acte de foi de ces thuriféraires du
capital. Mais alors, si l’amélioration des conditions de vie et de travail des
citoyens, de leur éducation et de leur santé, de leur sécurité matérielle et de
l’assurance de leur avenir, si leurs loisirs mêmes vont à l’encontre de la
réussite de la mondialisation capitaliste, c’est que cette dernière est néfaste.
Même ceux qui ne sont ni dogmatiques ni irréalistes comme moi feront la même
constatation. C’est clair comme une lapalissade.
S’ils veulent que nous soyons réalistes, regardons alors le bilan. En France,
tout d’abord. Notre gouvernement, tout acquis au libéralisme mondialisé et aux
ordres du Médef, lui même sous le joug du Cac 40, lui même esclave de Wall
Street, a été à ce jour le plus efficace de tous les gouvernements de droite
depuis la Libération et peut-être même depuis un siècle (à l’exception du régime
de Vichy), en matière de réformes, car c’est ainsi que nos dirigeants et le
patronat nomment la régression sociale et la casse industrielle. Nos penseurs
libéraux s’indignent contre les syndicats, les fonctionnaires, les travailleurs,
enfin tout ceux qui ne veulent jamais des réformes qu’on leur propose (impose).
Ces réformes qu’on propose (impose) aux travailleurs ne leur conviennent pas.
Ils veulent bien des réformes mais pas de celles qui confortent la montée du
chômage, la précarité de l’emploi généralisée, la prolifération de la misère et
des sans-abri et la destruction de l’environnement. Bien sûr, nos politiciens de
droite s’apitoient sur le sort des sans-abri ou des familles qui vivent dans des
taudis (il faut bien faire plaisir à l’abbé Pierre) mais dans le même temps, il
refusent de construire des logements sociaux dans leur localité. Des pauvres !
Pas de ça chez nous !
Capitalisme
et financiarisation du capital
Nos patrons, à la rescousse de qui viennent nos idéologues
libéraux, nous disent, des sanglots dans la voix, qu’ils voudraient bien faire
le bonheur du peuple, améliorer son niveau de vie, mais qu’ils ne peuvent pas, à
cause de la concurrence mondiale. C’est la loi du marché, c’est imparable, on
n’y peut rien. C’est comme ça, c’est dans l’ordre des choses, c’est la nature.
Je ferai remarquer au passage que la nature, le capitalisme mondialisé ne se
gêne pas pour la polluer, ce qui nous prédit des lendemains apocalyptiques.
Pourtant, la nature on peut la domestiquer harmonieusement au bénéfice de
l’homme et de son environnement.
Si on ne peut rien sur l’ordre des choses, si l’inéluctable sort du monde c’est
le capitalisme, on n’a plus qu’à baisser les bras, se détourner des bureaux de
vote, ne plus militer, supprimer toute revendication, toute action syndicale
inutile, au pire se tirer une balle dans la tête, et laisser les rênes à Big
Brother, à Itt, à la Standard Oil, à Exxon et quelques autres firmes
états-uniennes ou internationales qui géreront le monde. Il n’y a plus qu’à
s’abandonner à ces abstractions que vénèrent nos réalistes libéraux que sont le
Cac 40, le Nikkei, la City, la bourse de Francfort ou Wall Street. Il n’y a plus
qu’à laisser les capitaux proliférer dans les paradis fiscaux avec l’argent de
la drogue, de la prostitution, du jeu et de toutes les mafias. Permettre à des
fortunes individuelles de devenir plus importantes que le revenu des États.
Cela dit, nos patrons, si intransigeants sur le dogme libéral, ne crachent pas
sur les subventions que l’État leur octroie généreusement, ils ne vocifèrent pas
contre l’interventionnisme étatique lorsque l’État se substitue à eux pour payer
leurs salariés sous le prétexte de soutenir l’emploi. Les patrons profitent de
cette manne, sans bénéfice pour l’emploi car ils n’embauchent que lorsqu’ils ont
besoin de main-d’œuvre. Les entreprises étrangères qui touchent des ponts d’or
de l’État pour s’installer en France, et une fois raflé le pactole
déguerpissent, ne font pas fi non plus de l’argent public dont on leur fait
prodiguement cadeau.
Les vrais chefs d’entreprise, ceux qu’on paye des milliards de centimes de
francs pour prendre la place, qu’on rétribue des centaines de millions de
centimes mensuellement, plus les stocks options qui doublent leur salaire et
qu’on licencie au bout de six mois quand ils ont fait preuve de leur
incompétence en leur accordant de nouveaux milliards de centimes d’indemnités,
ne sont plus les capitalistes à l’ancienne qui créaient des usines, des
entreprises, mais ceux qui absorbent la concurrence, ceux qui rachètent les
entreprises pour les fermer et mettre le personnel à la porte, ceux qui ne
créent plus rien mais font des coups de bourse, ne pense qu’à gagner de l’argent
avec de l’argent et l’aide des banques, engloutissent dans leurs opérations les
économies des petits actionnaires et accroissent leurs avoirs en rachetant les
actions à bas prix.
Libéralisme,
capitalisme
et développement inexistant
Mais enfin, si le capitalisme mondialisé peut accroître le
développement du tiers monde et l’amener sur les chemins de la prospérité,
peut-être cela mérite-t-il que nos travailleurs occidentaux « nantis » fassent
un effort de rigueur et d’austérité par solidarité. Voyons ça de plus près.
Quand nos industriels ou même nos prestataires de services délocalisent leurs
usines ou leurs entreprises françaises ou européennes qui sont bénéficiaires
pour les installer dans le tiers monde, est-ce pour améliorer le sort des
travailleurs asiatiques, africains ou sud-américains, ou pour avoir une
main-d’œuvre à bas prix, corvéable à merci, sans protection sociale, pour
obtenir des exonérations fiscales et ainsi multiplier leurs bénéfices ?
Je ne brandirai pas les chiffres que j’ai en ma possession et que j’ai déjà
publiés par ailleurs mais qui démentent ceux avancés par nos idéologues
néo-libéraux, j’affirme simplement que les pauvres sont de plus en plus nombreux
dans le tiers monde, que la maladie et la mortalité progressent
(particulièrement en Afrique), que les famines font de plus en plus de ravage,
que la mono-agriculture extensive imposée par les empires coloniaux ou
néo-coloniaux occidentaux et qui a remplacé la culture vivrière, la
déforestation (et la désertification qui en est la conséquence), imposée
également par les sociétés importatrices occidentales, sont la cause de ces
famines.
La croissance rapide des pays « émergeants » n’a pas fait long feu. Le
capitalisme imposé à Singapour, au Brésil ou en Argentine a apporté la faillite,
la banqueroute et la misère du peuple. Lorsque les firmes états-uniennes ou
occidentales insufflent des capitaux dans ces pays et y installent des usines,
ou lorsqu’ils en pillent les matières premières, c’est pour rapatrier les
bénéfices dans les pays d’origine et non pour en faire profiter les autochtones.
Si le produit national brut semble s’accroître illusoirement, le pouvoir d’achat
des habitants stagne ou dégringole.
Il serait temps que les idéologues, dogmatiques, utopistes et passéistes qui
parlent de solidarité, d’équité et d’harmonisation mondiale aient la possibilité
de tenter l’expérience du bien commun et de prouver la possibilité d’un monde
meilleur.
Maurice Cury