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Le Manifeste - N° 8 - Juillet & août 2004
Inventé pour une domination
mondiale états-unienne
Le « Grand Moyen Orient »
Le « Grand Moyen Orient » constitue depuis l’automne 2003 une création géographique que ne pouvait inventer, à part Dieu, que le détenteur du Bien placé à la tête de la plus grande puissance jamais exercée sur cette terre à l’encontre du Mal : celle de la Maison Blanche et du Pentagone.
Que l’auteur de cette nouveauté qu’est le « Grand Moyen
Orient » y inscrive une région allant de l’Atlantique et du Maroc aux confins
entre Afghanistan et Chine, montre seulement à quel point le « Bien » se
personnifie avec l’Occident conçu comme lieu de civilisation chrétienne et
libérale – puisque la supériorité raciale n’est plus de mode depuis 60 ans –,
face à un monde arabe identifié à l’Islam, lui même assimilé au terrorisme. Peu
importe que des États arabes au sein de cet espace, ou musulmans hors de ces
limites, dans une Afrique subsaharienne sans importance ou sur l’Océan Indien,
tels le Pakistan ou l’Indonésie, soient déjà sous la houlette du « Bien ». Que
ces « Arabes » soient Turcs, turcophones comme les Ouzbeks (occupés), ou
indo-européens comme les Iraniens, les Tadjiks ou les Pachtouns d’Afghanistan !
Il faut leur apporter, avec la « modernité », le Bien et la Liberté.
Mais le « Grand Moyen Orient » se confond presque avec les « Balkans eurasiens
», qui méritent qu’on veuille leur bien de la même façon. L’addition africaine
de Bush ne fait qu’accroître la masse lucrative de pétrole et de gaz naturel que
renferme cet espace. Elle ajoute, aux « démocrates » saoudiens ou autres de la
coalition en guerre ou en occupation en Irak et en Afghanistan, ainsi qu’à
l’occupant israélien de la Palestine, des États naturellement déjà « ouverts » à
la « Démocratie », en Égypte et au Maghreb et, de plus en plus, en Libye.
Imposer
l’hégémonie
de la démocratie
Védrines notait dans Le Monde du 17 Mars qu’ « après la fin
du monde bipolaire, les phénomènes pathologiques du monde post-bipolaire »,
comme le terrorisme d’El-Qaïda, fournit prétexte : « la guerre en Irak n’a pas
renforcé la lutte contre le terrorisme… Quant aux idées du type « Grand Moyen
Orient », elles aboutissent à « faire oublier la guerre en Irak » et à «
confirmer l’escamotage du problème palestinien. » Il s’agit en fait, dans une
position stratégique visant tant l’Europe et la Russie que la Chine et l’Inde,
d’imposer les « réformes » exigées par Washington à tout pays qui rechigne à y
céder. Les moyens à utiliser sont connus tant par les photos et témoignages
sortis de la prison d’Abou Gheraïb que par les instructions de Rumsfeld et
autres que Bush s’efforcent d’enterrer. On ne peut que douter de la réalité de
deux de ses trois objectifs affichés : démocratisation (avec promotion de la
femme) et modernisation, et même de la réussite du troisième, « l’ouverture
économique », là où il suscite résistance et sabotage d’oléoducs et gazoducs.
Après les réactions, dès mars 2004, d’alliés des États-Unis au sein de cet
espace, et l’espoir déçu de voir adopter par le sommet arabe de Tunis des
contre-propositions attendues du Caire, le projet voudrait se muer en pendant de
ce que fut la Csce pour la sécurité et la coopération en Europe, cette « tête de
pont de la Démocratie » selon Brzezinski. C’est que, si selon Colin Powell « les
réformes ne peuvent être imposées de l’extérieur », le sous-titre du dernier
livre de Brzezinski, (Le Vrai choix) n’offre comme option que « l’Amérique et le
reste du monde ».
Contradictions secondaires
et promesses
de soutien
de l’Otan
Certes, des contradictions secondaires peuvent pousser les
diplomaties française ou allemande à souligner « le piège d’une approche globale
ignorant les caractéristiques nationales, stigmatisant l’Islam et taisant le
conflit palestinien et ses retombées en Syrie et au Liban ». Au G8 des 8-10
juin, les dirigeants de ces deux États ont choisi d’amender le plan Bush en «
partenariat », pour « apporter développement économique et social, prospérité et
stabilité dans les pays du Moyen Orient élargi et d’Afrique du Nord », souhaiter
« une solution aux conflits », souligner que « que la diversité doit être
respectée », et déclarer « un soutien à un règlement juste, global et durable du
conflit israélo-palestinien fondé sur les résolutions 242 et 338 du Conseil de
Sécurité. » Mais ce fut en échange de l’accord pour une « action en faveur de la
réforme de la région » comportant l’appui au « gouvernement provisoire irakien
», mis en place par l’occupant.
Le 24 juin, le chef désigné du dit « gouvernement », Iyad Alaoui, a demandé à
l’Otan son aide officielle pour former ses forces de sécurité, contre son
peuple. Ce biais permettrait à l’impérialisme états-unien de revenir à la charge
pour obtenir une solution « au projet d’envoyer l’OTAN prendre le relais des
forces d’occupation ». La demande faite à l’Égypte, d’« assurer la sécurité »
dans la bande de Ghaza, va dans le même sens, déniant toute capacité en ce
domaine à l’Autorité palestinienne de Yasser Arafat.
Le sommet d’Istanbul conforte-t-il Bush dans sa prétention d’avoir fait du monde
« un espace plus sûr », alors que la montée des violences contre le peuple
irakien tend à accroître le duo fascisant de l’islamisme face à la
mondialisation néo-coloniale ?
André Prenant